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22h45 : Scarface
Film américain de Brian De Palma. Couleur. 1983.
Scénario d'Oliver Stone.
Avec Al Pacino, Michelle Pfeiffer, Steven Bauer et Mary-Elizabeth
Mastrantonio.



Scarface de De Palma
:
C'est bien ce qu'il est convenu d'appeler un "film-culte" : un phénomène
qui dépasse le cadre strict du cinéma. Scarface, réputé
pour son ultra-violence, pour être le film où le mot "fuck" est
prononcé le plus souvent (182 fois, dit-on...), éreinté par la critique,
puis succès modeste en salles, a connu une incroyable deuxième vie
grâce au circuit des vidéo-clubs : il est encore à ce jour la cassette
la plus louée aux États-Unis. L'histoire de Tony Montana, pleine
de sang, d'argent et de cocaïne, a été élevée au rang de mythe par
la jeunesse des ghettos : elle s'est identifiée au petit immigré
cubain qui impose par la force sa loi aux Blancs. Avec son héros
macho, obsédé par la réussite matérielle, les armes à feu, les voitures
et les fringues, Scarface constitue la référence fondatrice du gangsta
rap : on ne compte plus les morceaux qui samplent les dialogues
du film, en particulier la fameuse devise de Montana "the world
is yours."
À la manière de Sherlock Holmes ou Dracula, Tony Montana a éclipsé
dans l'imaginaire collectif le travail de son créateur, Brian De
Palma. Le voir à la suite du premier Scarface rappelle
d'abord sa nature de remake du chef-d'œuvre de Hawks. Le scénario
est recontextualisé dans l'Amérique contemporaine, nourri d'une
dimension politique qui n'est rien d'autre qu'un arrière plan, mais
l'essentiel est là : grandeur et décadence du petit gangster psychopathe
et passion meurtrière pour sa sœur. Ses points forts ne sont pourtant
pas les mêmes : si la dimension familiale était l'enjeu capital
chez Hawks, c'est plutôt la description d'une figure du gangster
contemporain qui fait tout le prix de son film.
D'autant plus quand le gangster en question est interprété par Al
Pacino, véritable co-auteur du film. Il le porte littéralement sur
ses épaules et démontre que son registre n'est pas limité à la sourde
intériorisation avec laquelle il incarnait Michael Corleone dans
Le Parrain en une performance flamboyante qui relègue tous
ses partenaires au second plan, y compris l'excellente Michelle
Pfeiffer. Ce génie de l'excès n'est pas pour rien dans la mythologie
du film, mais aussi dans sa réputation sulfureuse : si la violence
n'est pas aussi insoutenable qu'on a pu le dire (hormis la célèbre
scène de la tronçonneuse), elle est omniprésente dans le jeu de
Pacino, bien plus terrifiant qu'un banal serial-killer ou qu'un
quelconque vampire.
La mise en scène de Brian De Palma y est bien sûr aussi pour quelque
chose. Même si sa patte caractéristique, diabolique cocktail de
constructions vertigineuses, trompe l'œil, discours analytique et
d'obsessions hitchkockiennes n'est pas aussi évidente ici qu'ailleurs
(Blow Out, Body Double, Snake Eyes) la
signature De Palma est très reconnaissable : photographie tout en
couleur vives et criardes, stylisation de la violence (voir la dernière
scène) dont hériteront Tarantino et ses imitateurs, mais aussi cinéphilie
et tendance à la réflexivité. Le film s'ouvre ainsi sur un interrogatoire
où Montana dit sa fascination pour les gangsters du cinéma américains,
dont il s'inspire en permanence dans sa sanglante trajectoire. Le
remake est donc non seulement la forme mais aussi un enjeu essentiel
du film (l'absence totale du surnom-titre, "Scarface",
paraît à cet égard révélatrice). Que Tony Montana l'imitateur soit
devenu à son tour un modèle, le phénomène est pour le moins troublant…
On rappellera enfin que le scénario est signé par Oliver Stone,
devenu un cinéaste connu pour son style coup-de-poing, sans ménagement
pour le spectateur.

En savoir plus
- Brian De Palma, le rebelle manipulateur, Dominique Legrand, Paris, éd. du Cerf, coll. 7è Art, 1995.
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Scarface(s)
jeudi 26 septembre 2002
20h30 : Scarface (Scarface, shame of a nation)
Film américain de Howard Hawks, noir et blanc, 1932, 99 min.
Scénario de Ben Hecht.
Avec Paul Muni, Ann Dvorak, George Raft, Boris Karloff.



Scarface de Hawks
:
Grandeur et décadence d'un caïd de la pègre de Chicago, Tony Camonte
dit Scarface ("le balafré"), personnage fortement inspiré
d'Al Capone.
Film préféré de son réalisateur, Scarface est indéniablement
un classique du film de gangsters, et le Chicago des années 1920
commence à nous être familier avec ses speakeasies et ses
hôpitaux, ses rafales de mitraillettes et autres expéditions de
cadavres épinglés d'un mot doux. Le réalisme des scènes impressionnera
beaucoup Al Capone, qui a suivi de loin la fabrication du film.
Quand le bandit demande à voir le film pour la première fois, Hawks
fait répondre à ses émissaires : "au moment de la sortie, il n'aura
qu'à payer un dollar et s'acheter un billet." Finalement les deux
hommes se rencontrent et Capone en a finalement acquis une copie
personnelle.
Le film de Hawks est d'abord connu pour ses ennuis avec la censure,
à cause de la violence représentée, mais aussi parce que l'on redoutait
que le film pût donner des idées à ses spectateurs en montrant trop
précisément les méthodes et techniques de la pègre. Plusieurs versions
successives sont donc interdites, et Hawks doit retourner la fin
tant qu'elle n'est pas jugée suffisamment édifiante (si bien que
le réalisateur a dû se débrouiller sans son acteur principal qui
n'était plus disponible pour les nouvelles prises). On ne voit pourtant
pas toujours en quoi les gangsters de Hawks sont séduisant, dans
la mesure où on se voit régulièrement rappeler leur puérilité et
leurs défauts, de la lâcheté à la bêtise parfois, parce que, explique
Hawks, "un grand nombre des gangsters que j'ai rencontrés étaient
assez puérils. J'en ai vraiment marre de toutes ces histoires de
gangsters où chacun aboie sur l'autre et se présente comme le plus
gros dur du monde." Il ne faut cependant pas se limiter à une approche
du film en fonction du genre et Scarface se distingue par
bien des aspects des autres films de gangsters, comme L'Ennemi
public ou Little Caesar, pour ne citer que les principaux
films contemporains. D'abord parce qu'il est le fruit de la collaboration
de Hawks et du producteur indépendant Howard Hugues, qu'il est monté
de manière presque artisanale alors qu'Hollywood est déjà caractérisé
par le règne des grands studios. Ensuite parce que visuellement,
l'influence des éclairages expressionnistes se fait sentir à travers
des jeux d'ombres et de lumière très contrastés. Et surtout, le
scénario est moins conçu comme une succession d'épisodes types que
comme une vaste tragédie familiale. L'intrigue est beaucoup plus
ferme que dans d'autres films analogues, le début nous montre que
le destin du héros est joué d'avance. Ce qui intéresse Hawks, c'est
le fonctionnement des familles - il invoque très souvent le modèle
des Borgia - avec ses liens indéfectibles, ses trahisons, ses attachements
parfois incestueux.
Lucrèce Borgia est jouée ici par Ann Dvorak, personnage étonnamment
développé par rapport à la galerie de blondes décorative que l'on
rencontre dans les autres films du genre. Elle est aussi l'une des
premières véritables héroïnes hawksiennes, à la personnalité forte
face à des hommes infantiles (qu'on se rappelle les comédies du
réalisateur) et se distingue par sa ténacité et son courage physique
au moment de prendre les armes pour soutenir son frère.
Les citations sont extraites du livre d'entretiens de Joseph McBride,
Hawks on Hawks.
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